Imaginez un hippopotame grandeur (presque) nature. Maintenant, imaginez que vous lui soulevez le dos… et qu’au lieu d’un rugissement il vous propose un seau à glace, un range-bouteilles, et de quoi servir des amuse-bouches. Voilà l’idée délicieusement absurde — donc irrésistible — de Hippopotame Bar, pièce unique, créé en 1976 par François-Xavier Lalanne. Si ce genre de mobilier-animal vous amuse (ou vous inquiète un peu), vous aimerez d’ailleurs sûrement aussi ce délire de salon : le canapé hippopotame de Maximo Riera.
Et le 10 décembre 2025, ce pachyderme de collection a pulvérisé les compteurs : 31,4 millions de dollars chez Sotheby’s, après une bataille d’enchères d’environ 26 minutes impliquant sept enchérisseurs très motivés. À ce niveau-là, on n’achète plus un bar : on adopte un animal totem (avec un porte-bouteilles intégré).
Un record… et pas qu’un petit
Ce résultat ne fait pas “juste” un beau score : il est présenté comme le prix le plus élevé jamais atteint pour un objet de design aux enchères, et un nouveau record pour Lalanne. Et ce qui est savoureux, c’est que les enchères ont ce pouvoir étrange de transformer une œuvre déjà célèbre en événement planétaire — un peu comme quand une image ultra-reproduite redevient un choc dès qu’elle repasse sous le marteau : la Grande Vague de Hokusai vendue chez Sotheby’s.
Ce qui rend cet hippopotame unique
D’abord, il s’agit d’une pièce unique, avec des dimensions sérieuses (on parle d’un véritable meuble-sculpture, pas d’un bibelot). Ensuite, la fiche de vente détaille un assemblage de matériaux particulièrement “design” : cuivre, maillechort (alliage cuivre–nickel–zinc, souvent appelé “argent allemand”), acier inoxydable, laiton, bois peint. Autrement dit : du métal noble, du métal malin, et un soupçon d’illusion.
Mais le détail qui fait grimper la température (et le prix) : c’est le seul Hippopotame Bar réalisé en cuivre. Il a servi de prototype, avant des versions ultérieures, notamment en bronze. Dans le monde du design, le prototype, c’est un peu le “premier tirage” en littérature : tout le monde veut celui qui raconte l’origine de l’histoire.
Et puisque l’on parle d’objets à double (ou triple) lecture, Lalanne n’est pas le seul à adorer les meubles qui cachent quelque chose : si vous aimez les pièces à surprise, reliez l’idée à ce bureau à compartiments secrets du roi Charles-Albert. On n’ouvre pas le dos d’un hippo, mais on reste dans la même philosophie : le meuble n’est jamais seulement un meuble.
Une provenance qui pèse aussi lourd que l’animal
Le bar a été commandé directement à l’artiste et provient de la Schlumberger Collection, associée à Anne Schlumberger, mécène et grande collectionneuse. En clair : une provenance prestigieuse, limpide, qui rassure le marché et excite les collectionneurs. Avec ce type de pedigree, l’objet arrive déjà “couronné” avant même que la salle ne s’échauffe.
Pourquoi les “Lalanne” fascinent autant ?
Parce que “Les Lalanne”, ce n’est pas seulement François-Xavier : c’est le duo qu’il forme avec Claude Lalanne, sa femme. Et leur force, c’est d’avoir inventé un langage immédiatement reconnaissable : un art où la nature n’est pas un thème, mais un personnage.
Chez eux, le décoratif ne suffit jamais. L’objet doit être sculpture et usage en même temps. François-Xavier adore faire basculer l’animal dans le mobilier (un hippopotame qui devient bar, un mouton qui devient assise…), tandis que Claude transforme feuilles, branches et fleurs en métal précieux, comme si le jardin avait décidé de s’installer dans le salon. Résultat : on sourit d’abord (l’idée est souvent délicieusement absurde), puis on s’approche, et on comprend que tout est parfaitement fonctionnel.
Cette obsession de la nature qui surgit dans le mobilier se retrouve d’ailleurs dans d’autres créations contemporaines : les Water Tables, ces tables où des animaux semblent sortir de l’eau jouent elles aussi sur l’idée du vivant qui remonte à la surface, littéralement. Même principe : un objet domestique devient une petite histoire à regarder avant de servir le café.
Ce que dit ce record sur le design d’aujourd’hui
Ce prix vertigineux raconte quelque chose de simple : le design de collection est devenu un territoire où l’on achète autant une œuvre qu’un récit. Ici, le récit tient en une image impossible : un hippopotame qui cache un bar. Et quand l’objet est rare, documenté, iconique, et porté par une provenance en béton armé… le marché fait le reste.
Au fond, l’Hippopotame Bar est une sorte de blague sophistiquée que seuls les ultra-riches peuvent se permettre — mais une blague au sens noble : celle qui vous fait sourire et réfléchir. Ce qui est déjà beaucoup pour un animal qui, à la base, n’était pas censé vivre dans un salon.
Sources pour aller plus loin
Toutes les photos: crédits Sotheby’s.
• Sotheby »s
• Artnet
• The art newspaper
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