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Henry Gunther, dernier soldat tué de la Première Guerre mondiale

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Dans les livres d’histoire, on aime les dates nettes : la Première Guerre mondiale s’arrête le 11 novembre 1918 à 11h. Fin de la boucherie, rideau. Sauf que sur le terrain, la guerre a continué à tuer jusqu’à la dernière minute. Et celui qu’on considère aujourd’hui comme le dernier soldat tué de la Première Guerre mondiale s’appelle Henry Nicholas John Gunther, un Américain de 23 ans tombé à… 10h59.

Son nom est moins connu que ceux des grands généraux ou des traités, mais son destin résume à lui seul l’absurdité de la guerre : un homme fauché alors que la paix est déjà signée, mais pas encore « officiellement » entrée en vigueur.

Signature de l'armistice du 11 novembre 1918
Signature de l’armistice du 11 novembre 1918. Crédit Maurice Pillard Verneuil.

De Baltimore au front : l’itinéraire d’un futur « dernier soldat tué »

Henry Gunther naît en 1895 à Baltimore, dans une famille d’origine allemande. Employé de banque, fiancé, une vie rangée, très loin du héros de film de guerre. Quand les États-Unis entrent dans le conflit, en 1917, il est finalement enrôlé et rejoint le 313ᵉ régiment d’infanterie, intégré à la 79ᵉ division, surnommée « Baltimore’s Own ».

Au départ, la guerre lui laisse un peu de distance : ses compétences de comptable lui valent un poste dans l’intendance, loin des tranchées les plus exposées. Il est sergent, gère du matériel, des chiffres, pas des assauts. Rien ne laisse encore deviner qu’il deviendra le dernier soldat tué de la Grande Guerre.

Une lettre censurée, une rétrogradation, un besoin de se racheter

C’est une simple lettre à un ami qui va renverser sa vie. Dans ce courrier, Gunther décrit franchement la dure réalité du front et déconseille très clairement de venir se battre en Europe. Mauvais timing : la lettre est interceptée par la censure, remonte à sa hiérarchie, et est interprétée comme un manque de patriotisme.

Résultat : Henry perd ses galons de sergent, est retiré de l’intendance et renvoyé en première ligne comme simple soldat. Humilié, il se renferme, mais se met aussi à multiplier les actions risquées, comme s’il voulait prouver à tout le monde – et peut-être d’abord à lui-même – qu’il n’est pas un lâche.

Il est blessé à la main par des éclats d’obus, mais refuse l’évacuation. Il reste avec son unité durant la terrible offensive de Meuse-Argonne, l’une des plus meurtrières pour l’armée américaine. C’est dans ce contexte de pression, de suspicion et de besoin de rédemption qu’il va finir par devenir ce fameux dernier soldat fauché par la grande guerre.

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Équipe de canonniers de la compagnie du quartier général du 23e régiment d’infanterie, tirant avec un canon de 37 mm lors d’une offensive contre des positions allemandes retranchées pendant la campagne de la Meuse-Argonne. Crédit photo Department of Defense USA.

11 novembre 1918 : l’armistice signé… mais pas encore appliqué

Le 11 novembre au matin, l’armistice est déjà signé dans le wagon de Rethondes. Les combats doivent officiellement cesser à 11h. Sur le papier, la guerre est terminée. Sur le terrain, ce n’est pas si simple : les ordres mettent du temps à circuler, certains états-majors veulent « finir le travail », d’autres cherchent à gagner quelques mètres de territoire pour la carte d’après-guerre.

Le régiment d’Henry Gunther se trouve près de Ville-devant-Chaumont, au nord de Verdun. Il reste moins d’une heure avant le cessez-le-feu. Pourtant, les soldats sont encore envoyés au contact de positions allemandes. Une mitrailleuse ennemie bloque la progression.

Gunther se propose alors de neutraliser cette position. Ses camarades tentent de l’en dissuader, mais il avance malgré tout, fusil automatique à la main. En face, les Allemands – eux aussi au courant de l’armistice imminent – comprennent qu’il est seul et lui font signe de rebrousser chemin. Ils crient en anglais, tirent des coups de semonce.

Il continue d’avancer. Les Allemands finissent par ouvrir le feu. Henry Gunther est abattu à 10h59, une minute avant l’heure officielle de la fin des combats. C’est ainsi que l’histoire retiendra son nom comme dernier soldat tué de la Première Guerre mondiale.

Tué… et réhabilité

Après sa mort, l’armée américaine se ravise : Henry Gunther est réintégré à titre posthume dans son grade de sergent. Il reçoit une citation pour bravoure et la Distinguished Service Cross.

Il est d’abord enterré en France, avant que son corps ne soit rapatrié en 1923 à Baltimore, au Most Holy Redeemer Cemetery. Sur place, une plaque rappelle son étrange destin. En France, un monument a été érigé près de Chaumont-devant-Damvillers, à l’endroit même où il est tombé.

Ce parcours, de suspect à héros, montre bien à quel point l’étiquette d’ultime mort au combat repose autant sur la chronologie que sur une volonté politique et mémorielle : il fallait un nom, une histoire, un visage pour symboliser la dernière victime d’un massacre de masse.

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Pierre tombale d’Henry Gunther. Crédit photo Concorde (CC BY-SA 3.0).

D’autres « derniers » morts de 14-18

Henry Gunther n’a malheureusement pas été le seul à tomber ce 11 novembre 1918. On estime que plusieurs milliers de soldats ont encore été tués ou blessés ce jour-là, alors que l’armistice était déjà signé.

Parmi ces victimes tardives, on peut citer :
• le Français Augustin Trébuchon, tué à 10h45 alors qu’il portait un message à ses camarades : la soupe serait servie après la fin des combats ;
• le Canadien George Lawrence Price, souvent présenté comme le dernier soldat du Commonwealth tué, abattu près de Mons à 10h58 ;
• le Britannique George Edwin Ellison, mort lors d’une patrouille quelques heures avant la fin ;
• ou encore le Belge Marcel Toussaint Terfve.

Même côté états-majors, certains ne semblent pas pressés d’arrêter les frais. Le général américain William M. Wright ordonne ainsi la prise de la ville de Stenay, notamment pour permettre à ses hommes de profiter des bains publics. L’attaque fera près de 365 victimes, dont 61 morts, dans les toutes dernières heures du conflit. On est loin de l’image sage d’une guerre qui s’éteint doucement à l’ombre des horloges.

Des visages sur mes soldats

Derrière l’expression un peu froide de dernier soldat tué, il y a un jeune homme d’à peine 23 ans, fiancé, employé de banque, issu d’une communauté d’origine allemande en pleine tourmente.

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Pour mieux comprendre ce que représentait une telle guerre pour les corps et les visages, il suffit de regarder les soldats qui ont survécu, parfois atrocement mutilés. Sur 2Tout2Rien, l’article Faces from the Front : les visages réparés de soldats de la première guerre mondiale montre ces hommes « reconstruits » par les prothèses faciales et les premières tentatives de chirurgie réparatrice. On y découvre des existences qui ont échappé à la mort… mais pas forcément à la violence de la guerre.

Pour sortir la Grande Guerre du noir et blanc et la ramener à hauteur d’homme, vous pouvez aussi explorer les 40 photos couleurs rares de la première guerre mondiale par Fernand Cuville. La boue des tranchées, les uniformes, les ruines, tout prend une réalité crue qui rend encore plus frappant le destin de ce dernier soldat tué à 10h59.

Et pendant que certains tombent au combat, d’autres essaient malgré tout de construire une vie. Les 30 portraits de mariées de guerre de la Grande Guerre rappellent que, dans l’ombre des offensives, on continue de se marier, d’espérer, de poser en robe blanche sans savoir si le marié reviendra. Ces visages font écho à celui d’Henry Gunther : même époque, même tourbillon, mêmes vies suspendues.

Un symbole qui nous hante encore

On pourrait dire : après des millions de morts, qu’importe le dernier ? Et pourtant, cette figure du dernier soldat mort perturbe toujours. Elle condense en une seule minute – 10h59 – tout ce que la guerre a de plus absurde :
• la bataille continue alors que les dirigeants ont déjà signé la paix ;
• un soldat se fait tirer dessus par des ennemis qui tentent d’abord de le sauver de sa propre charge ;
• une vie est sacrifiée pour rien, si ce n’est un mélange de discipline militaire, de malentendus et de besoin de reconnaissance.

Se souvenir d’Henry Gunther, c’est rappeler que les guerres ne s’arrêtent pas proprement en fermant un dossier sur un bureau. Elles s’éteignent dans le désordre, les erreurs, les ordres contradictoires… et parfois dans la dernière balle tirée une minute avant l’heure.

Sources pour aller plus loin

The Baltimore Sun
BBC
Amusing Planet
US Army Reserve

Grande guerre, découvrez également cette reconstitution de la bataille de Verdun en Lego.

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